Vous n’avez pas pu passer à côté ; l’un des arguments utilisé lors des dernières campagnes, départementales et régionales était de prôner le travail et/ou l’emploi plutôt que « l’assistanat ».
Exemples :
Définitions
La première des questions à se poser quand on nous propose une opposition comme une vérité établie est de se demander si cette opposition est réelle ou supposée, voir fantasmée et/ou à dessein. Pour se faire, il faut revenir aux définitions et aux sens qui sont donnés aux mots.
Le travail est « l’ensemble des activités humaines coordonnées en vue de produire quelque chose ; état, situation d’une personne qui agit en vue de produire quelque chose ».*
Exemple : préparer la terre de votre jardin, planter des fraisiers, les désherber et récolter les fruits est un travail. L’activité fournie pour arriver à récolter des fraises est un travail en soi.
Dans le langage courant l’activité de travailler est souvent connotée positivement (voir comme une vertu) même si de nombreux débats existent sur la notion même de travail. Les citations évoquées dans le petit Robert font référence au fait que le travail permet de participer activement à la création de son propre destin ou de lui échapper.
« Le travail est beau et noble. Il donne une fierté et une confiance en soi que ne peut donner la richesse héréditaire » Alfred de Vigny
« Le travail est bon à l’homme. Il le distrait de sa propre vie. » Anatole France
Citons encore Alexandre Vialatte repris dans les Chroniques de La Montagne : « On éprouve l’impression de tricher quand une chose vous arrive sans peine, il faut toujours monter sur quelque armoire pour attraper le pot de confitures. »
L’Emploi est « ce à quoi s’applique l’activité rétribuée d’un employé, d’un salarié » *
L’emploi fait référence au contrat entre l’employeur et l’employé qui définit les modalités du travail que l’employé aura à fournir et le montant de la rétribution donnée en contrepartie de son travail pour un temps donné.
Exemple : Un producteur de fruits et légumes propose un poste saisonnier pour la récolte de fraises. L’emploi est défini par le contrat qui lie l’employeur à l’employé contre son travail de ramassage des fraises. L’emploi est le cadre institutionnalisé, juridique et économique dans lequel s’inscrit le travail de l’employé.
L’assistanat, comme marqueur de division
Au sens premier l’assistanat est la condition des assistants « Fonction de l’assistant »*. C’est par un détournement de sens que le terme assistanat est devenu péjoratif pour définir « le secours donné aux personnes socialement nécessiteuses »*.
Le terme péjoratif « assistanat » trouve ses origines dans la dénonciation suivante : le système de solidarité, de redistribution des richesses par le biais des aides sociales serait à l’origine d’effets pervers (CAF : RSA, APL, Allocations familiales… Pôle Emploi : ARE, ASS… ). Ces effets seraient de nature à démobiliser les bénéficiaires de ces aides à faire des efforts pour changer leurs conditions matérielles de vie.
Par extension, et appuyé par des débats stériles médiatisés s’appuyant sur des cas exceptionnels voir même parfois inventés pour l’occasion, les bénéficiaires de ces aides deviennent susceptibles d’être des fraudeurs à l’aide sociale avant d’être perçues comme des victimes. De la précarité financière à la stigmatisation, il n’y a qu’un pas.
Ambiance
Tour de passe-passe rhétorique
Cette posture permet de créer, au sein même de notre société, un périmètre dans lequel sont circonscrits les ennemis internes de son bon fonctionnement, puisqu’ils bénéficieraient des avantages de notre système de redistribution sans apporter les contre-parties. A l’occasion de propagandes électorales, nous serons donc amenés à nous positionner sur « l’assistanat ».
Comment alors se positionner « pour » un concept négatif en soi ?
Et hop, le débat est d’ores et déjà pipé, car on ne vous demande pas de vous positionner pour ou contre un système de solidarité avec ses bénéfices pour l’ensemble de la société mais pour ou contre une soi-disant perversion de ce système qui « gangrène la société » (Lire : Cinq idées reçues sur « l’assistanat » 2011).
Une réalité douloureuse pour les plus pauvres
Outre le fait que dans ce genre de raisonnement, on s’assoit allègrement et volontairement sur l’ensemble des richesses créées et engendrées en dehors du cadre de l’emploi par les individus qui en sont privés, que l’on passe à la trappe toute les difficultés liées au fait d’avoir de faibles revenus et la souffrance que peut apporter la privation non désirée d’emploi, on crée un climat de suspicion à l’encontre de tous les bénéficiaires de ces aides.
Et quand bien-même une personnes au RSA, lèverait le pied au cours d’une longue recherche d’emploi infructueuse, on imagine aisément que ce n’est pas avec un revenu de 524,16 € (si elle est seule) que c’est la belle vie une fois déduits le reliquat de loyer à payer, les repas, la part mensuelle de chauffage, d’impôts locaux et de taxes, de consommation d’eau et d’assainissement et incontournables assurances sans parler du minimum pour le vestimentaire, éventuelles télécommunications…
Nous n’entrerons pas ici sur les dégâts qu’engendrent ces situations difficiles couplées à la connaissance et à la conscience des stéréotypes qui pèsent sur leurs épaules. Ce ne sont pas là les meilleur conditions pour développer une bonne estime de soi, faire de chacun des « winner » prêtes à provoquer une ascenseur social fantomatique.
Une question supposée de responsabilité, mais de qui ?
Confusion et stéréotype
La confusion entretenue entre la notion « d’emploi » et celle « de travail » fait glisser le curseur des responsabilités. En effet, le terme « assistanat » puise sa force dans le flou qui existe à ce niveau. On amène inconsciemment les gens à penser que le chômeurs sont des fainéants et des profiteurs. Les bénéficiaires de la redistribution sont pointés du doigt, très subtilement, non pas parce qu’ils n’ont pas d’emploi (facteur extérieur à soi) mais parce que l’on considère que cette absence d’emploi est révélatrice de la nature même de ces personnes (facteur interne – essence).
Ce type de jugement repose sur les caractéristiques de ce que l’on appelle des stéréotypes.
« Les stéréotypes sont des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles d’un groupe de personnes » Leyens
Exemple : Un employé est « visiblement » un travailleur, alors qu’un parent sans emploi qui aligne tâches ménagères, transports pour aller à l’école, fait les courses et les tâches ménagères, la gestion et l’administration du domicile ne sera pas perçu de la sorte. Pourtant, la deuxième situation nécessite parfois plus de travail que la première.
Fausses solutions
Surfant sur la croyance que les mauvais chiffres du chômage reposent en bonne partie sur des qualités individuelles et non structurelles, certains proposent des solutions tendant à favoriser « l’esprit d’entreprise ». C’est à partir de ce constat qu’a été créé le régime de l’auto-entrepreneur, (2009, N. Sarkozy souhaite « libérer le travail », il désavoue aujourd’hui cette mesure) où chacun peut devenir le créateur de son propre emploi n’ayant plus qu’à fournir sans compter sa capacité de travail au service de sa « boîte ». Mais les résultats ne sont pas à la hauteur (cf. INSEE : Auto-entrepreneurs) : « Au bout de trois ans, 90 % dégagent un revenu inférieur au Smic au titre de leur activité non salariée ». Avouez qu’il faut avoir les reins solides pour tenir sur la durée.
D’autres formes d’entreprises sont encore possibles, mais toutes ou presque nécessitent un capital de base afin de se procurer matières premières et outils de travail, investir dans la publicité pour se faire connaître et disposer d’une trésorerie nécessaire pour faire face aux aléas. Planifier, gérer, organiser et diriger une entreprise nécessite des compétence que tout le monde n’a pas forcément et réunir le capital de base n’est pas accessible à n’importe qui.
Se lancer dans le commerce d’un service ou d’un produit avec succès nécessite de trouver une clientèle prête à les acheter, à un prix qui vous permette de couvrir les dépenses et dégager un revenu. Pour répondre à ces conditions, il faut du temps. Et du temps quand on a de faibles revenus et pas d’épargne, ça coûte trop chère ; l’urgence est de répondre aux dépenses quotidiennes et vitales.
En matière d’emploi, que disent les chiffres ?
Le nombre de demandeurs d’emplois
Selon le journal du net, le nombre de demandeurs d’emplois de catégorie A, c’est à dire sans aucune activité, en France métropolitaine est de 3 589 800 en octobre 2015. Fin octobre 2015 le nombre de demandeurs d’emplois de catégories A, B et C s’établit à 5 435 800 en métropoles (5 740 600 Dom compris). Les personnes sans travail sont probablement en nombre supérieur car les personnes considérées comme « demandeuses d’emploi » sont inscrites à Pôle Emploi. Certaines ne le sont plus par méconnaissance du système, erreur, radiation, refus des contraintes de contrôle ou d’autres encore par lassitude.
Aujourd’hui, jeudi 17 décembre 2015, un rapide coup d’œil sur la page internet de Pôle Emploi nous informe que 461 982 offres sont disponibles. Bien sûr ce chiffre reste très approximatif puisque certaines offres ne passent pas par le biais de Pôle Emploi et que sa plate-forme internet recense aussi des offres en double ou en triple (annonces dans des sites partenaires). Les offres d’emplois recouvrent des CDI, mais aussi des CDD, des missions d’intérim ou de travail intermittent. Ces offres vont du travail à plein temps à de simples missions de quelques heures par semaine.
Pour pouvoir postuler à une offre d’emploi il faut réunir plusieurs conditions :
– disposer des compétences nécessaires à l’emploi proposé,
– avoir parfois (souvent) de l’expérience,
– être mobile si l’emploi offert n’est pas sur son lieu de vie
– et y avoir un intérêt.
En effet, postuler sur un temps partiel de 20h00 par semaine, payé au SMIC, à 60 km de chez soi avec des horaires morcelés n’est pas forcément une avancée si cela engendre en parallèle frais de transports conséquents, de garde pour les enfants etc..etc… Donc l’expression qui voudrait qu’il y a du travail en France mais que les gens ne veulent pas le prendre (sous-entendu, quelle bande de glandeurs nous avons-là !) est à prendre avec des pincettes car l’adéquation parfaite entre offre et demande dans les deux sens paraît quasi-impossible arrivée à certains seuils.
Revenons à nos moutons : emploi travail, assistanat et élections
Pour en revenir aux exemples des tracts de campagne que nous avons cités au début de cet article nous voyons que dans ces deux extraits, l’assistanat est opposé au travail plus qu’à l’emploi (ce qui est assez ridicule en soi, vu qu’il n’y a pas assez d’emploi, mais ça maintenant, tout le monde a compris ! 😉 )
Assistanat version acceptée comme brique de réflexion
Dans le premier, l’emploi est la solution pour « sortir » de l’assistanat. L’assistanat est clairement rentré dans le vocabulaire (et donc dans les têtes) comme un état de fait, comme une composante négative incontournable de notre système de solidarité. Dans ce cas précis, il a certainement semblé plus percutant de faire appel aux stéréotypes négatifs que véhicule le mot assistanat à l’encontre de bénéficiaires d’aides sociales plutôt que de louer les bénéfices de l’augmentation du nombre d’emplois pour les personnes en situation de précarité : élévation du niveau de vie, augmentation du pouvoir d’achat, changement de statut social etc…
A chaque message, ses électeurs. On fait donc plus appel au jugement des gens sur l’assistanat (à connotation négative) qu’à celle des personnes qui en subissent directement les conséquences du manque d’emploi. Ceci pour des candidats qui se proclament de gauche. Allez-y sans retenue, vous avez le droit de tousser.
Assistanat version agressive à marteler
Dans le second, le candidat insiste sur la connotation négative. On ne sait jamais, si certains d’entre-nous ne s’étaient pas encore posés la question ; il y a bien, selon lui des personnes aidées qui « en ont vraiment besoin » et d’autres non, des mauvais et des bons « assistés ». Mais tous les bénéficiaires, comme dans l’exemple précédent profitent de « l’assistanat ». En effet, au recto de son document de campagne, les axes forts de la campagne sont alignés, dont celui-ci : « Travail, plutôt qu’assistanat ».
Nous avons donc tous bien compris : le travail vaut mieux que les aides sociales et il faut donc le favoriser. Mais nous avons vu précédemment que « travail » ne signifie pas forcément « emploi ».
Il dit de manière à peine caricaturée : « mettons au turbin la bande de fainéants qui profite du système et de vos contributions ». Il s’adresse à toutes les personnes qui ont une perception stéréotypée des chômeurs, que ce soit des chômeurs eux-mêmes (on peut avoir des stéréotypes négatifs sur soi-même) ou non.
Et pour finir, le candidat propose :
– plus d’aides pour ceux qui veulent travailler (et pourquoi pas plus d’emploi?)
– et moins d’aide pour ceux qui « refusent les formations »…
Ah bon ? Ce candidat ne serait-il pas au courant que des mesures existent déjà ?
En effet, dans les motifs de radiation (et donc suppression du versement des droits au chômage) il est mentionné : « Refus de suivre une formation ou une action d’aide à la recherche d’emploi proposée par Pôle emploi dans le cadre du PPAE ».
Mais cette erreur-omission-confusion est à l’image de son tract en entier, où une bonne partie des mesures annoncée est soit déjà dans les rails, soit ne dépendent pas de ses compétences, soit carrément impossibles car illégales.
En conclusion
Toutes ces contorsions précédemment évoquées autour de la question de l’emploi évitent d’aborder :
– aujourd’hui : le problème du nombre insuffisant d’emplois existant face à la demande.
– pour demain : une réflexion autour de la casse annoncée du nombre restant d’emplois. En effet certains pensent que d’ici une vingtaine d’année, plus de 40 % des emplois pourront être remplacés par des ordinateurs (47% aux États-Unis selon le MIT, 54% en Europe selon le think tank Bruegel). C’est ce qu’explique, entre autres Paul Jorion, chercheur en sciences sociales (ici interviewé dans Le Figaro en 2014). Il est donc plus qu’urgent d’envisager cette hypothèse et de se pencher sur des solutions alternatives à construire.
En gros, ces gesticulations autour de l’emploi, servent à faire semblant d’offrir une réponse aux inquiétudes des électeurs (l’emploi étant la principale préoccupation recensée) en stigmatisant ceux qui sont victimes du manque. Des campagnes qui satisfont ceux qui voient des fraudeurs partout, participent à faire monter cette croyance chez ceux qui n’en seraient pas encore convaincus mais encore qui alimentent un climat anxiogène pesant sur les travailleurs eux-mêmes.
En effet, la peur de perdre son emploi, c’est non seulement la peur du risque de voir fondre ses revenus mais aussi de devenir un paria de notre société. Comment ne pas accepter dans ces conditions, n’importe quelle condition de travail ?
On ne saurait que trop recommander aux candidats aux élections passées et futures de lire le livre de L’Odenore (Observatoire des non-recours aux droits et services, structure universitaire rattachée à un laboratoire du CNRS, travaille avec de nombreux partenaires en France et à l’étranger) : « L’envers de la « fraude sociale » » qui démontre chiffres à l’appui l’absurdité de l’argumentaire sur la « fraude sociale » et la proportion de gens qui ne bénéficient pas les aides auxquelles ils ont droit. A défaut, ils pourront se rabattre sur l’article de Philippe Warin : « La face cachée de la fraude sociale » paru en 2013 dans le Monde Diplomatique.
* Définitions extraites du Petit Robert