L’Europe en question – 3 – Entretien avec Cédric Durand

Suite de l’interview. Question N° 3 :

PA : Peut-on (et doit-on) sortir de l’Union Européenne ? Doit-on renoncer à l’Euro ? Quelles seraient les conséquences d’un tel retrait ?

 CD : Oui, bien sûr que l’on peut sortir de l’Euro. D’ailleurs techniquement, un pays est déjà sorti : Chypre ! En effet, si l’euro reste formellement la monnaie de ce pays, les capitaux ne peuvent plus sortir librement ce qui implique que les euros détenue dans ce pays n’ont objectivement plus le même pouvoir monétaire que les euros des autres pays de la zone.

Mais le fond du problème est celui du projet de société que l’on eut pu porter.

Prenons le fléau du chômage. Hyman Minsky, qui fut sans doute l’économiste le plus célébré lors de la crise financière, avait identifié deux stratégies de lutte contre le chômage. Dans la première, «la croissance économique est considérée comme souhaitable et le taux de croissance est déterminé par le rythme de l’investissement privé ». La politique de relance engagée au nom de  l’emploi a ainsi pour but de retourner les anticipations de profits des investisseurs. Cela passe par des déductions fiscales sur les investissements, des commandes publiques – typiquement dans l’armement ou le BTP, des subventions pour les secteurs de la construction ou pour la recherche et développement. Cette stratégie a de nombreux défauts : elle conduit à accroître la part du capital dans le revenu global, nourrit des relations financières instables, contribue à l’accroissement des inégalités de salaires et à la diffusion du consumérisme et peut, en outre, provoquer de l’inflation. Plus généralement, une telle politique butte sur les limites à la croissance évoquées plus haut.

L’autre stratégie de lutte contre le chômage, celle qui a la préférence de Minsky, passe par l’emploi public. Son principe central est celui de l’État comme employeur en dernier ressort (EDR). Dans cette approche, l’État – directement, via les collectivités locales ou encore par des subventions à l’économie sociale et solidaire – s’engage à fournir un emploi à tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire de base du secteur public et, éventuellement au delà, en fonction des qualifications requises pour les emplois concernés. La logique consiste à « prendre les chômeurs tels qu’ils sont et d’adapter les emplois publics à leurs compétences ». Les emplois se situent dans des services intensifs en travail qui génèrent des effets utiles immédiatement perceptibles pour la collectivité dans des domaines comme l’aide aux personnes âgées, aux enfants et aux malades, l’amélioration de la vie urbaine (espace verts, médiation sociale, restauration de bâtiments..), l’environnement, l’animation en milieu scolaire, les activités artistiques, etc. Ces activités ont toutes en commun de prendre place dans des secteurs où les gains de productivité possibles sont faibles, voire inexistants. Comme le résume Minsky, l’objectif est « une meilleure utilisation des capacités existantes plutôt que leur accroissement ». Des impôts fortement redistributifs et les économies réalisées sur les prestations chômage permettraient de payer ces emplois.

Une telle garantie de l’emploi exige de  tourner le dos à la liberté de circulation du capital et au libre-échange. Autant d’éléments qui constituent les piliers fondamentaux de l’Euro. Une politique contre le chômage efficace est intenable dans un environnement où la concurrence règne en maître. Il faut donc aussi penser un commerce intra-européen et international régulé, qui crée de la stabilité et permette ainsi à différentes manières de vivre en société de s’épanouir.

 à suivre …

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.